Un centre d’art et une fabrique des arts vivants dans un espace d’hospitalités

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ARTISTES EN RÉSIDENCES

EMMA TRICARD & CÉCILE BALLY

Résidence de création - juillet & octobre 2021, mai 2022  
© Tabea Xenia Magyar

Cécile Bally est une chorégraphe berlinoise diplômée en danse (HZT Berlin) et en économie (ENS Paris-Saclay). Son travail crée des liens entre ces deux milieux et interroge, avec humour, la place de la rationalité et du réalisme magique dans la Performance. Son travail s'ancre dans le monde de la SF en tant que critique sociale et propose un regard sur des entités prédominantes de la culture populaire actuelle (le rapport des vampires à la modernité, l’adolescence dans des espaces périphériques, les comportements au supermarché) provoquant rêves et cauchemars, utopiques et dystopiques à la fois.



Danseuse, chorégraphe et causante, Emma Tricard est basée à Marseille. Diplômée de la HZT et du Master Exerce à ICI—CCN, elle développe depuis 2015 une recherche chorégraphique basée sur l’observation et la distorsion entre « le dire » et « le faire ». Lancée dans une quête aventureuse, elle invente des danses de la conjugaison, pense son travail au futur antérieur et se joue des relations causales entre les choses, les pensées, les mouvements et les phénomènes de la nature. Depuis 2019, l'association Vague Aventure porte ses projets, toujours tout terrains et toujours teintés d'humour.



ENTRETIEN AVEC CÉCILE BALLY & EMMA TRICARD

Juin 2021




Distance ?    


Emma - Cécile  Entre 30 centimètres et 2 mètres. 

Parce que c’est un projet collaboratif que nous menons et nous sommes beaucoup ensemble. Ce serait peut-être : le manque de distance qui définit la relation.

Je pensais aussi à cette distance sociale qu’on éprouve fortement en ce moment, il y a des gestes corporels qui sont en train d’être renégociés. On ne fait plus la bise et le port du masque transforme nos rapports de proximité.


Cécile Avec le covid, les distances sont devenues à la fois plus petites et plus grandes. Plus petites parce qu’on se déplace moins, et en même temps plus grandes parce que par exemple je rentre moins souvent en France. Si j’habite en Allemagne je ne peux pas aller en France donc le fait de ne pas vivre dans son pays prend une dimension plus présente.

Avec ce projet où le voyage a une grande place, nous ressentons les distances plus fortement.  

 

Quel événement artistique, culturel, politique, économique, environnemental, associez-vous à votre ou vos années de naissance ? 


Cécile « 1989 c’est trop intense, 1990 c’est trop vide » 

Moi je suis née en 89 et il y a tellement d’évènements en 89 que c’est dur de choisir, surtout habitant Berlin… 

Le vrai événement qui est marquant pour moi, ce sont les 200 ans de la révolution française parce que je suis née la nuit du 13 au 14 juillet si j’étais née le 14 juillet j’aurais eu de l’argent dans un compte à la poste : 15 francs ou je ne sais pas quoi. 

Quand ma mère a accouché, les infirmières étaient déguisées en révolutionnaires et criaient dans les couloirs « A ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates on les aura ! ». 

Emma Je suis née en 90 pas d’idée…..« Tchernobyl non, Chirac non ce n’est pas ça » et en fait j’ai même demandé à mon père qui m’a aussi dit « La guerre du Kossovo »,mais cela ne faisait pas tellement sens pour moi. En fait 89 a été une année tellement intense, que souvent les années d’après sont des échos. Les choses se trament s’ancrent dans le réel. C’est l’année d’après. (Rire) 


Quelle est la genèse du projet ?


Emma - Cécile La genèse du projet c’est que nous étions parties une semaine en vacances au début du confinement, qui se sont prolongées en deux mois, dans la même maison. Nous avons redécouvert le travail en commun, à la recherche d’une forme collaborative. Être bloqué dans une maison isolée à la campagne pendant deux mois c’est super « science fiction ». Ça nous a inspiré. Nous avons réalisé que les questions que nous nous posions résonnaient avec ce que nous vivions : « qu’est-ce que la science fiction ? la science fiction aujourd’hui ? la science fiction plus tard ? ». On en a fait une pratique avec un rendez-vous tous les jours ou tous les deux jours. Souvent sous forme de vidéo que l’on montait directement. C’était une manière d’être actives, de profiter d’être dans un cadre exceptionnel, ne pas se contenter d’adapter nos vies, enfin de rattraper ce qui était entrain de nous échapper du concret de nos vies professionnelles. 



Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ? 


Emma J’ai déménagé à Marseille il y a deux ans, je suis venue au 3 bis f en tant que spectatrice. C’est toujours un lieu qui a généré beaucoup d’imaginaire, du fait de la spécificité de son engagement et de sa porosité avec une réalité, celle de l’hôpital psychiatrique. Nous nous reconnaissons aussi dans son interdisciplinarité, il y a une vraie volonté de construire un langage.


Cécile Nous avions cette première phase constituée d’ateliers d’écriture et cela nous paraissait très intéressant d’imaginer ces ateliers au 3 bis f. De les partager avec des gens qui suivent un parcours de soins. 

Notre projet s’intéresse aux imaginaires du futur avec des personnes vivant en différentes villes, mais aussi à la manière dont on intègre de façons multiples de penser le futur.  Ce n’est pas pareil d’être retraité en Belgique de visiter quotidiennement un hôpital de jour à Aix en Provence. Il était très important pour nous de s’inscrire dans un lieu qui avait envie de partager cette démarche, qui a une vraie ‘politique des publics’. 


Emma Et puis il y a une dernière chose : j’habite ici maintenant, et pour moi c’est vraiment essentiel de travailler avec les gens qui sont là. Cela permet de développer une relation dans le long terme. Au 3 bis f, nous reviendrons trois fois. C’est très riche. Cela veut dire que nous reverrons les gens. On ne se téléporte pas quoi.… Même si on aimerait bien (rire).  


Comment  travaillez-vous ensemble ce projet ? 


Emma - Cécile  Nous avons un peu cette idée de d’abord toujours dire oui à toutes les propositions.

Donc c’était un peu le leitmotiv de notre travail ensemble… non pas que nous conservons tout ensuite, mais de toujours dire oui avant de dire non (rire).

Des gestes plutôt basés sur l’action : essayer les choses, faire ! 

Pour ce projet nous travaillons d’abord à l’écriture d’un texte en amont de la phase de répétition chorégraphique : écriture d’un texte à travers des ateliers dans différentes villes, un texte de sciences fictions sur les perceptions multiples du futur. Ensuite nous adapterons ce texte en performance. 


Cécile Plus personnellement, je commence toujours par penser la scénographie, construire le monde… travailler avec une scénographie très forte définit ce que les corps vont faire sur scène. C’est l’état qui est influencé par la scénographie, et non pas la scénographie qui vient soutenir l’état. Avec ce projet, c’est la première fois que je procède différemment.

J’ai aussi une approche très liée à un thème. J’aime concevoir des pièces sur des thèmes très concrets. Je m’obsède avec un sujet. Par exemple j’ai fait une pièce sur les supermarchés, j’ai été obsédée par les sur supermarchés pendant deux années. J’ai ensuite travaillé sur les vampires pendant trois ans et n’ai fait que cela. J’ai un rapport obsessif au matériel et à l’image, à la constitution de tricks, de tours qui permettent de soutenir l’état et la scénographie et qui créent la performance. 


Emma Je travaille davantage sur la relation intrinsèque qu’ont le langage et le mouvement. Je m’amuse à penser beaucoup la différence ou les différences ou l’espace, tout ce qu’on peut mettre entre dire et faire, et à faire foisonner ce petit monde-là. Je travaille avec des contraintes très fortes corporelles, soit de sur-activation du performeur, essayant de créer en état de difficulté par exemple. Ou de trouver des jeux qui créent un langage particulier. C’est toujours un peu troublé mais la parole est très présente. Pas forcément comme information, mais comme matière de mouvements ou chorégraphiques.  

Pour ce projet nous allons aussi travailler avec un bruiteur, cela ramène une dimension autre assez fascinante et nouvelle pour nous deux.


Comment cohabitez-vous avec votre folie ? 


Emma - Cécile  Nous avons beaucoup réfléchi à cette question, nous interrogeant sur ce qu’était la folie et ce que veut dire cohabiter. Et puis, plus particulièrement ce que ça veut dire la folie dans ce contexte, ici ! 

Assez souvent il semble qu’il y ait tout de même quelque chose avec la folie des artistes. Pour certain, c’est réel. Et puis il y a la folie de personnes qui ont besoin de prendre des médicaments… C’est pour ça que justement il y a tellement d’acceptions possibles  sur le thème de « folie ». L’idée était justement d’éclairer un petit peu ce terme par rapport à chacun. Nos individualités, nos perceptions… Voilà, en dehors de ce contexte, si on te dit de but en blanc, au bord de la mer et qu’on te dis « Emma, comment tu cohabites au quotidien avec ta folie ? » 


Cécile Je fais beaucoup de cauchemars et je m’en rappelle toutes les nuits. J’ai l’impression qu’au moment où je me réveille, c’est fort et c’est dur. J’ai ce rapport journalier à un inconscient qui est peut-être la chose qui me ramène le plus à cette notion de folie.

Il y a des jours où je ne veux plus dormir parce que je ne veux pas rêver. Comme les enfants qui ont peur de leur rêve, moi ça m’arrive tout le temps (rire), mais j’imagine que ça m’inspire aussi parce que j’ai fait beaucoup de choses sur l’horreur, les vampires. Évidemment il y a un lien, mais je préfère le garder dans les cauchemars que dans ma vie réelle, la folie. Parce que je n’aimerais pas que ça se passe pour de vrai ce dont je rêve. 


Emma Pour moi : être en relation avec les autres et pouvoir parler. 


LE DÉBORDEMENT
Jeudi 21 octobre 2021 et 12 mai 2022 à 20h
Danse
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